Marc Chagall avait coutume de dire que « la couleur est tout, la couleur est la vibration comme la musique». Il suffit de regarder les couleurs éclatantes de sa peinture Le Roi David (1951) avec le jaune doré de sa couronne et de sa harpe et le rouge flamboyant de son habit pour se convaincre que la couleur vibre comme la musique. De plus la recommandation de Chagall :« Il faut faire chanter le dessin par la couleur »manifeste l’intensité de son esprit musical qui allait jusqu’à inspirer son travail de peintre. On a dit que généralement il peignait en écoutant la musique de Mozart.
La couleur et la musique
Certains affirment qu’en peinture comme en musique, il y a un mode majeur (rouge et jaune) et un mode mineur (bleu) selon les trois couleurs primaires. En appliquant ce principe à la toile Le Roi David nous pouvons facilement voir que les couleurs prédominantes du rouge et du jaune se trouvent dans la partie supérieure du tableau et sont en mode majeur exprimant la gloire légendaire du jeune Roi tandis que la partie inférieure dont les couleurs prédominantes sont le bleu et le noir sont en mode mineur exprimant sous l’image en deuil du prophète Jérémie, les pleurs du vieux Roi David.
La partie supérieure du tableau fait donc référence aux années glorieuses du Roi David que Chagall présente comme le musicien du Livre des Psaumes mais surtout comme le poète romantique des chants d’amour venant de la tradition juive de la Bible : le « Cantique des cantiques ». C’est ainsi qu’en face de David apparait sur ce tableau une mariée. Elle est habillée d’une longue traine blanche, planant dans les airs comme une comète. Mais en dessous de la mariée se trouve une autre femme qui porte un chandelier à trois branches. Une explication plausible consiste à dire que ces deux femmes seraient celles de Chagall qui dans sa vie a connu deux unions : une avec Bella, considérée comme sa muse, et plus tard une union avec Vava ou Valentina.
Si nous jetons un regard au dessus de la figure de la mariée nous découvrons plusieurs éléments typiquement chagalliens : le peintre Chagall lui-même qui tient une palette dans sa main gauche et un cadre dans sa main droite; un coq rouge, dessiné au centre de la pleine lune; un ange, apportant un bouquet de fleurs jaune vif et un violoneux jouant du violon des villageois de Vitebsk, lieu où naquit Chagall.
Dans la partie inférieure de cette toile, Marc Chagall a représenté des scènes tristes. Le bonheur et la tristesse sont toujours ensemble dans une vie. Nous voyons un soleil rouge, férocement rouge comme une boule de feu qui consume une ville et chasse les gens. Chagall a peut-être voulu parler des guerres de David. Chagall a bien sûr aussi vu ces misères dans les deux guerres mondiales et pendant la révolution russe de son vivant. Ici, dans l’incandescence du feu, on voit une mère s’enfuir avec son enfant à son sein, une femme presque peinte comme une Madone chrétienne. Pour David, la destruction de la ville et des gens qui fuient peut avoir été un cauchemar ou comme une prémonition de l’avenir de Jérusalem. David et son fils Salomon construisirent la merveilleuse ville de Jérusalem, mais Jérémie eut une vision de la destruction de cette ville et se lamenta sur son sort. Alors Chagall a peint de couleur vert foncé un Jérémie en deuil assis dans le coin droit, peut-être pour représenter la tristesse et la douleur du vieux roi David.
Au sujet de la couleur et de la musique, Chagall aimait parfois y ajouter cette parole : « La profondeur de la couleur traverse les yeux et reste dans l’âme, de la même façon que la musique entre dans les oreilles et reste dans l’âme. »