
Un deuil d’importance venait défrayer la chronique aux derniers jours de l’année 1640. Dans la nuit du 22 au 23 décembre, mourait subitement à Paris d’une attaque d’apoplexie, Claude de Bullion, seigneur de Bonnelles, marquis de Gallardon, surintendant général des Finances de France (…)
Jeanne Mance en entendant parler autour d’elle du malheur des Bullion, eut-elle le pressentiment du rôle que joueraient bientôt auprès d’elle ces fastueux Bullion. Le moment était venu où, grâce aux circonstances et à la sollicitude de ses parents et amis, elle allait vivre dans une atmosphère où la dévotion et la richesse fleurissaient avec un égal éclat.
Rappelons les faits. « Un provincial des Récollets », « homme de grande mérite, le père [Charles Rapine] », que Jeanne Mance connaissait, vint au couvent de son ordre à Paris au commencement de le l’hiver 1641. La joie de Jeanne fut vive à la pensée de pouvoir exposer devant cet esprit supérieur son cas un peu exceptionnel…
Le Père Rapine reçut avec joie cette Langroise dont il se rappelait fort bien. Il fut touché de son récit. Parlait-on jamais devant un fils de saint François des missions de la Nouvelle-France sans provoquer son intérêt ? Pour l’apostolat au pays de Canada, l’Ordre s’était déjà fort dépensé. Il désirait toujours reprendre le travail missionnaire en ces contrées. Il y comptait déjà des martyrs.
Vraiment Jeanne Mance ne pouvait confier ses projets à une âme mieux préparée à l’entendre et plus désireuse de lui venir en aide. Car le Père Rapine ne perdait point de vue en l’écoutant, le côté périlleux de
l’entreprise. Son jugement pratique créait et ordonnait quelques faits sauveurs.
Aussi Jeanne Mance vit-elle le religieux, une fois qu’elle se fut renfermée en un silence un peu confus, se redresser et s’animer. Il lui parla, en termes assez brefs, mais combien précis et chargés de sens secourable. Nous connaissons quelques-unes des recommandations du Père Rapine. La postérité par le truchement du savoureux historien de Montréal, nous les a fidèlement transmises. Le judicieux récollet affirma, en approuvant le dessein de Jeanne Mance, et surtout en l’encourageant à s’abandonner tout à fait entre les mains de la Providence, « que tout cela était bien, qu’il fallait aussi qu’elle s’oubliât elle-même, mais qu’il était bon que d’autres en eussent le soin nécessaire ».
Jeanne Mance prit congé du Père Rapine, le cœur allégé. Grâce à ce religieux, volontairement dénué de tout, elle allait vivre, elle le pressentait, la promesse évangélique : « Quittez tout, vous trouverez tout. » Comment et où tout cela se réaliserait-il ? Elle ne s’en souciait point. Son espoir et sa confiance valaient toutes les certitudes.
Sa surprise fut donc moins vive que sa reconnaissance envers Dieu, lorsqu’elle reçut quelques jours plus tard, un mot du Père Rapine. Le religieux la priait de vouloir bien se tenir prête pour l’après-midi du lendemain. Elle se rendrait à l’hôtel de Bullion, rue Plâtrière. Lui-même s’y trouverait et lui présenterait une grande dame fort riche, protectrice discrète mais munificente de la plupart des œuvres de charité française : Madame Angélique de Bullion, veuve du Surintendant des Finances de France. (à suivre)
Georges Morin, ofm