Jérusalem et coronavirus : c’est fou, non ?
Le téléphone sonne.
« — Allô, Guylain ? — Eh bien, mon ami, comment ça va ?
— Moyen. Nous sommes à 500 mètres l’un de l’autre et nous ne pouvons pas nous voir.
— Imagine, nous sommes en plein Carême, il n’y a personne dans la Vieille ville. C’est fou, non ?
— Pire, c’est la première fois depuis 1852 que la basilique du Saint-Sépulcre ferme un dimanche. Elle le sera toujours à Pâques. C’est à peine croyable. »
Le St-Sépulcre, le lieu le plus saint de la Chrétienté, restera fermé à Pâques. À Jérusalem, comme ailleurs, c’est l’heure de l’inédit, du jamais vu, de l’incroyable. La Vieille ville, normalement grouillante de pèlerins au printemps, est désertée. Chacun est confiné à son appartement, sa petite maison. Les couvents de franciscains, beaucoup plus grands, ont l’air désertés. Comme les rues à l’extérieur. Les grands réfectoires sont réorganisés en petites tablées. Le gel désinfectant est devenu chose normale à l’entrée des chapelles et des salles à manger. Tout le monde reste à la maison tout le temps.
Tout a changé et pourtant la vie continue, autrement. Les frères italiens qui attendaient des dizaines de groupes de pèlerins sont soudainement libres comme l’air. Leur pays, parmi les premiers touchés, a vite été interdit d’accès (en même temps que la Chine et la Corée). Ces franciscains viennent surtout du sud de l’Italie. Tous ont perdu une tante, le père d’un ami ou un paroissien ; ils sont tous affectés d’une manière ou l’autre.
Au pays, toutes les mesures ont été mises en place pour mettre en quarantaine les voyageurs israéliens qui rentraient ; les touristes et pèlerins ont dû parfois rebrousser chemin. Si, au début, ces décisions apparaissaient extrêmes, aujourd’hui, plus personne ne les conteste. Surtout que la maladie a frappé près de nous. Quatre familles à Bethléem… Le Terra Sancta College, où je demeure durant mes études, est à quelques kilomètres de Bethléem. Des employés des Franciscains y
demeurent… Ici comme ailleurs, on se retrousse les manches. Les frères et les étudiants doivent faire le ménage des espaces publics, des toilettes, des corridors, de la cuisine, etc. Nous devons laver la vaisselle pour nous-mêmes à tour de rôle — nous sommes 25 résidents.
J’admire mes frères italiens. Chez eux, on sent clairement de l’inquiétude et de la tristesse. En même temps, on trouve en eux la docilité et la bonne humeur. En fait, malgré la lourdeur et le climat de panique, qui — aux dires des médias — gagnent le monde, je constate que la pandémie est pour nous occasion d’intériorité, de calme. Tous, du plus petit au plus grand, retrouvent un certain focus et une certaine qualité dans leur vie.
Car, il faut le dire, l’Université franciscaine (Studium Biblicum Franciscanum) a été la première de Jérusalem à passer aux cours virtuels (via internet), si bien que les étudiants n’ont souffert d’aucune interruption. Tout se passe normalement, mais à la maison. Nous n’avons plus à nous rendre dans les salles de cours. Ainsi, la communauté, au cours d’une réunion, a choisi d’ajouter la prière du milieu du jour et des temps de silence et d’adoration. Pour nous aussi, la pandémie devient occasion de réflexion, d’intériorité, de recentrement. Que se passerait-il si notre vie se déroulait autrement ? Serions-nous plus heureux ? À ce moment-ci, je pense que oui.