J’ai 53 ans et je suis reconnaissant. Pleinement. Parfois, j’entends de plus jeunes parler des générations de « l’âge d’or », et cela m’attriste. Vraiment. Je regarde la personne âgée, et je ne peux m’empêcher de dire : « Qu’aurai-je l’air à son âge? Serai-je même en vie? ». Eh oui, j’arrive à cette étape de ma vie où chaque jour est un don précieux, une grâce à recevoir. En vérité, par-delà les slogans faciles, je sais ce que signifie « la grâce de vieillir ». Et je le goûte pleinement.
Le Québec est une société plus âgée que la moyenne. Si l’on compare à presque tout l’hémisphère sud, ou l’Orient, nous sommes plus âgés. Parfois de beaucoup. C’est d’ailleurs ce qui a frappé l’un de mes confrères, originaire du Mexique, lorsqu’il est arrivé à Trois-Rivières : « Mais où sont les enfants? ». Il est vrai qu’il est révolu depuis longtemps l’époque où les enfants, nombreux, jouaient dans la rue ou passaient leurs journées dans les parcs. Collectivement, on ne les trouve que dans des espaces protégés ou contrôlés (loisirs organisés, événements à leur intention, etc.). Ou alors, ils sont à la maison; l’ordinateur et le téléphone intelligent occupent de plus en plus de place.
La présence quasi-constante de la technologie et des réseaux sociaux pour la jeunesse accentue la distance culturelle d’avec leurs aînés. Il existe des personnes âgées qui sont branchées, il est vrai, et beaucoup profitent d’une simplification des équipements informatiques (du moins pour l’utilisateur) pour se familiariser et naviguer avec aisance. Mais là ne réside pas le vrai défi. Lorsqu’on a construit sa vie sans ces réalités, il est facile de s’en passer et d’attendre autre chose de la vie.
Depuis environ 6-7 ans, le maître-mot pour moi (tant au point de vue théologique que spirituel) est réciprocité. Oui, la vie m’a appris certaines choses, que je peux partager avec joie, mais il me faut développer une claire conscience qu’en d’autres domaines, je suis en carence ou même carrément inadéquat. C’est Jean Vanier et la spiritualité de l’Arche qui m’a transformé, à ce chapitre. À Joliette, j’ai accompagné les deux foyers et le mouvement Foi et lumière. La personne qui a un handicap intellectuel peut développer une expertise en d’autres domaines de la vie humaine. Une claire conscience s’est alors développée en moi : j’apporte quelque chose, oui, mais si je ne suis pas conscient que je reçois tout autant, il est fort probable que la relation soit non seulement insuffisante, mais parfois carrément viciée. Ceux qui se croient « sauveurs » n’ont besoin de personne; voilà leur plus grande erreur.
J’ai bien connu des personnes âgées qui « savaient tout ». J’ai bien l’impression que, parfois, ce sont elles qui se retrouvent toutes seules dans leur grand âge. Présentement, ce sont plutôt les plus jeunes générations qui me laissent — à l’occasion — perplexe. Oui, la débrouillardise sur internet est une belle valeur, c’est vrai !, mais j’avoue que je m’étonne de cette attitude « je sais tout » ou du moins, « je peux tout savoir ». On sait beaucoup de choses, mais on en retient bien peu. On en vit profondément encore moins.
Pour tout le reste de ma vie terrestre et — pourquoi pas pour l’éternité? —, je désire apprendre. Dans le registre de la connaissance, mais aussi dans celui de l’amour. Et du service. À ce chapitre, j’ai toujours l’impression d’être novice: les relations humaines sont un laboratoire infini de découvertes. J’aime apprendre et croître; j’aime m’améliorer. Et j’espère encore longtemps. Je me réconcilie avec la grâce de vieillir.
Frère Guylain Prince, ofm