Ceux qui veulent connaître la différence entre l’environnement et une maison commune bénéficieraient à vivre de grands changements dans leur vie. Dans la mienne, cela m’est arrivé trois fois, ce qui me fait penser que j’ai quelque chose à partager sur ce sujet. Pendant mon enfance en Allemagne, j’ai toujours voulu devenir scientifique, et c’est ce que j’ai fait. Plus tard, après avoir obtenu un doctorat en biochimie, je suis parti aux États-Unis. Après dix ans de travail académique, je suis devenu directeur d’une entreprise canadienne de biotechnologie, passant de la recherche fondamentale à la recherche appliquée commerciale. Puis, après quelques années, a eu lieu le changement le plus important dans mon environnement, et je suis entré dans l’ordre franciscain. Voilà donc les trois grands changements de ma vie : de l’Allemagne à l’Amérique du Nord, de la recherche académique à la recherche commerciale, et de la vie de laïc à la vie d’un franciscain. Au vu de ces expériences, il m’est facile de partager ce qui transforme un simple « nouvel environnement » en une « maison commune ». Cette transition se fait quand l’on n’agit plus comme un étranger, mais qu’on participe pleinement au sein de cet environnement et qu’on le comprend comme une maison partagée avec d’autres : une maison commune.
Cet article a pour but de nous faire comprendre que la nature n’est pas seulement un environnement. Elle est destinée à être une maison commune. S’agit-il donc de revenir à la nature ? Beaucoup ont déjà essayé, mais c’est un long chemin à entreprendre si l’on comprend ce retour à la nature comme plus qu’une promenade dans un parc. En tant que Franciscain, ma compréhension de la nature s’inspire de la vie de Saint François et de sa communauté au 13e siècle, mais beaucoup a changé depuis. En 1620, c’est-à-dire au début du siècle des Lumières, Francis Bacon1 a revendiqué une nouvelle compréhension de la nature. « Que le genre humain reprenne le droit sur la nature que Dieu lui a donné, et qu’il lui donne sa portée ; la façon dont il le mettra en pratique sera régie par la raison saine et la vraie religion ».2
Cela exprime très précisément les bases de notre compréhension moderne de la nature ainsi que de la science moderne de la nature. Le droit de l’humanité est de chercher à exercer un pouvoir sur la nature, et les idées traditionnelles d’être dans la nature, d’être chez soi dans la nature et de se laisser guider par la nature doivent être abandonnées. Cependant, qu’est-ce qui désormais orientera notre action au sein de la nature et l’exercice de nos pouvoirs en ce qui la concerne ? Selon Bacon, il suffit d’une raison saine et d’une religion vraie (pour lui, celle anglicane). Mais aujourd’hui, la religion et le pouvoir de l’État sont considérés comme étant deux choses qu’il vaut mieux garder séparées.
Peut-être qu’aujourd’hui, au lieu de la religion, la dignité humaine et les valeurs démocratiques fondamentales peuvent agir en médiatrices entre les intérêts disparates des individus. Mais ce n’est pas facile. Tout le monde ne fait pas confiance au processus démocratique et n’accepte pas les compromis nécessaires. De plus, comment les citoyens qui votent dans un pays pourraient-ils légitimement prendre des décisions qui concernent des pays lointains et les générations à venir ? Cependant, ces questions ouvertes ne sont pas une raison de désespérer. Si, comme moi, l’on a grandi à Düsseldorf, dans une maison avec une vue sur le Rhin, on sait combien le bon sens et les structures démocratiques peuvent faire avancer les choses en matière de protection de l’environnement. Ce qui était dans mon enfance un égout industriel est devenu aujourd’hui à nouveau un fleuve vivant. La protection de l’environnement est possible et tout le monde peut y gagner en en faisant une priorité.
Mais la science et la technologie ne suffisent pas à résoudre tous les problèmes causés par la pollution de l’environnement. Il faut donner à la science et à la technologie une orientation et une conscience des raisons et des finalités de la nature. Hélas, la vision moderne de la nature est façonnée par une autre citation de Bacon : « La recherche des causes finales est stérile, elle est comme une vierge consacrée à Dieu qui n’enfante rien ».3 La modernité a banni de la recherche scientifique les fins, les raisons et les causes finales, ou la causa finalis, de la philosophie d’Aristote. On ne peut plus se demander à quoi sert une chose ou quel est son but ultime. Nous sommes plutôt enjoints à nous demander comment la maîtriser et nous en servir. Voilà comment le technocrate ayant reçu une formation scientifique voit le monde, et non à tort, car beaucoup de choses ont été accomplies de cette manière. Nous ne devons pas devenir des réfractaires au progrès si nous voulons réconcilier la science moderne avec la conception chrétienne de la vie. Ce que la raison humaine a découvert dans la nature et qu’elle applique pour améliorer nos vies et alléger nos fardeaux est toujours un don de Dieu, et il faut l’apprécier. Ce que je cherche à proposer n’est pas du tout le naturalisme éco-conservateur qui cherche à revenir en arrière.
Pour comprendre la nature en tant que maison commune, la première chose à saisir est que nous ne le faisons pas pour le bien de la nature. Pendant des milliards d’années, la biosphère terrestre s’est bien passée de nous. Quelle que pourrait être la fin dramatique de l’espèce humaine, la biosphère se rétablirait rapidement et produirait à nouveau une nouvelle diversité d’êtres vivants. Ce qui nous préoccupe, ce sont les êtres humains. C’est au nom de la vie humaine que nous cherchons à faire de l’environnement une maison commune. « Il n’y a pas d’écologie sans anthropologie adéquate »4, enseigne le Pape François. Nous avons donc besoin d’une troisième voie entre le naturalisme éco-conservateur, qui n’accorde pas à l’homme la joie du progrès, et la culture technocratique de la domination, qui ne voit la vie humaine que comme un moyen vers plus de progrès.
La politique de cette troisième voie ne doit être ni socio-technocratique ni nostalgique de la perte d’un mode de vie. Au fur et à mesure, nous nous sommes aliénés de la nature – ce qui pose problème. En lisant la lettre encyclique Laudato si’, on voit le nombre de sujets que le Pape François aborde concernant les conséquences et les nouveaux devoirs chrétiens qui découlent de cette aliénation de la nature. Ce n’est qu’après avoir surmonté cette aliénation, par le biais de la compréhension moderne de la nature et en l’intégrant dans la politique, que nous pourrons décrypter correctement les signes de la nature, lire son message et trouver une bonne direction pour le progrès de l’humanité.
L’aliénation de la nature n’est pas surmontée par des promenades dans des zones sauvages inhabitées, qui sont plus que nombreuses au Canada. Un confrère africain de ma communauté à Montréal préfère de loin les centres commerciaux. Il nous dit qu’il a peur des serpents dans le parc, et nos assurances qu’on est vraiment à l’abri des serpents sur l’île de Montréal ne changent rien. Ayant grandi dans un village africain, il s’amuse probablement de l’amour naïf de la nature de mes compatriotes en Allemagne et au Canada. Moi, j’aime beaucoup aller au parc et surtout au jardin botanique de Montréal, et quand je dois visiter des centres commerciaux, alors ma patience s’épuise au bout de 20 minutes. Mais quand je vais dans le parc municipal et lui dans le centre commercial, nous percevons la même chose. Il y a d’autres personnes autour de nous qui poursuivent leurs intérêts. Certains font du jogging dans le parc, d’autres font du shopping avec des amis, beaucoup s’assoient ensemble en famille dans le parc pour un pique-nique, et d’autres se retrouvent plutôt dans un restaurant. Nous voyons la communauté. En tant que Franciscains, nous voulons faire de la vie en communauté notre raison de vivre, et donc nous savons la reconnaître. Et nous voyons aussi ceux qui semblent seuls, qui semblent être toujours seuls dans la foule qui les entoure. Pour certains, il est difficile de ressentir la proximité du vivre ensemble dans une maison commune.
Mais la nature essentielle de l’être humain est la vocation à vivre dans la conscience de l’ouverture aux autres afin que la communauté devienne possible, et cette intuition façonne la spiritualité et la vie franciscaines. Dans son testament, Saint François écrit comment, au début du 13ème siècle, sa vie de disciple du Christ a commencé.5 C’était la rencontre avec un homme dans le besoin à qui il a fait preuve de compassion, grâce auquel il a découvert comment trouver la grâce de Dieu. Puis le Seigneur lui donna des frères et une petite communauté s’est formée pour suivre ensemble le chemin de l’Évangile. Dans cette histoire, la religion est comprise très différemment de ce que Bacon écrira 400 ans plus tard en tant que représentant de l’Église d’État anglicane. Dans la petite communauté motivée par la religion, la religion est l’expérience, le souvenir et l’attente de la guérison de tout ce qui nous aliène de Dieu et de nous-mêmes. Il s’agit d’une foi vécue personnellement, mais le plein défi de cette foi ne peut être vécu qu’au sein d’une communauté humaine. C’est sur cette base, dans la vie quotidienne, que les Franciscains peuvent comprendre leur vocation naturelle à la fois en tant qu’êtres humains et en tant qu’enfants de Dieu.
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain comme toi-même. […] Fais ainsi et tu vivras », dit le Seigneur dans l’Évangile selon Saint Luc (10, 27-28). Dans ces paroles, qui peuvent d’abord paraître naïves, s’incarne la compréhension chrétienne de la nature. La nature humaine se comprend comme étant appelée à l’amour de Dieu et des hommes, ce qui est fondamental pour comprendre le monde entier. L’Évangile appelle chacun d’entre nous personnellement à la vie, et quand nous entendons cet appel, nous comprenons aussi la nature comme une création et nous respectons la vie de toutes les créatures qui s’y trouvent.
Un bel exemple de vie communautaire franciscaine se trouve dans le Sacrum Commercium, un récit allégorique sur la pauvreté franciscaine.6 La pauvreté rend dépendant, et dans la dépendance il est plus facile de comprendre ses propres besoins ainsi que ceux des autres. Si la pauvreté et la dépendance qui en découlent peuvent être un choix volontaire, alors on peut en profiter pour mieux comprendre les autres, car dans cette forme de vie, on est moins capable de s’isoler par ses propres moyens. Dans l’histoire du Sacrum Commercium, nous lisons le succès de ce projet. Alors que des Franciscains sont assis dans un pré et mangent un repas frugal, on leur demande : « Où est votre monastère ? » Comme réponse, ils indiquent l’environnement qui les entoure en disant : « Voici notre monastère ». Ils ne possèdent rien, mais ils possèdent le monde entier. Ils tiennent à leur vie et non à des biens inanimés.
Le thème de la vie nécessite une réflexion philosophique plus approfondie. Nous reconnaissons la vie lorsqu’elle se manifeste devant nous, et nous pouvons la voir tout autant dans un autre être humain que dans un arbre. Même une simple amibe qui nage vers sa nourriture grâce à la chimiotaxie, nous la considérons, avec raison, comme l’activité d’un être vivant. Mais une voiture programmée pour trouver son chemin jusqu’à sa destination n’est pas vivante. Elle n’agit pas d’elle-même ; elle est une machine qui ne diffère d’un jouet à remonter que par l’importance de ses composants et par leur connexion électronique plutôt que mécanique. Personnellement, une plante artificielle peut me tromper pendant un certain temps en me faisant croire qu’elle est vivante, mais une fois que je sais qu’elle ne l’est pas, cette chose imbécile ne fait que m’ennuyer.
Nous reconnaissons les êtres vivants comme des êtres à part. Le respect que nous portons à tout être vivant, que nous ressentons comme un appel immédiat face à un être vivant en détresse, est une conséquence du respect de notre propre vie. Nous voyons ce qui nous donne la vie dans la vie des autres. Nous savons qu’en tant qu’êtres vivants finis, nous restons dépendants les uns des autres et ne pouvons être entièrement seuls. Notre indépendance reste tributaire des autres et de l’attention qu’ils nous portent. Nous pouvons nous en passer pour un temps limité, mais pas pour toujours.
La vie est temporelle et ainsi elle dépend de sa subsistance. Les atomes restent, mais l’être vivant vient d’eux et peut à nouveau disparaître en laissant ces atomes derrière lui. L’être vivant possède sa propre unité et se maintient à partir de cette unité par son métabolisme et son développement. Il peut également transmettre sa vie à ses descendants. En quelque sorte, la vie plane sur la matière comme l’histoire sur les lettres d’un livre. Par conséquent, nous ne voyons pas la vie lorsque nous la recherchons à l’aide des méthodes des sciences physiques. Nous voyons seulement comment la vie forme le substrat matériel qui est antérieur à la vie et qui subsiste après la mort. Nous voyons des états homéostatiques loin de l’équilibre thermodynamique, mais ce sont des signes de vie, pas la vie elle-même. Indépendamment de la science physique, nous comprenons par notre propre vie comment reconnaître les êtres vivants que nous étudions ensuite par le biais des sciences physiques.
Les causes finales déjà mentionnées, c’est-à-dire les raisons naturelles se rapportant à un objectif à atteindre, ne jouent aucun rôle dans les réponses données par la physique, la chimie et la biologie moléculaire. Mais les questions que nous posons à la biologie moléculaire sont des questions que nous avions déjà identifiées comme étant les raisons d’être et les finalités d’un être vivant. Nous ne trouvons alors plus ces raisons et finalités dans les réponses de ces sciences, mais ces réponses nous donnent alors de nouvelles possibilités de dominer la nature. Ce pouvoir peut même paraître illimité, car une nature comprise comme étant sans but ne peut pas fixer de limites à notre domination. Mais les êtres vivants ont tout de même leurs propres raisons et finalités pour lesquelles ils font ce qu’ils font dans leur vie, et face à la conscience humaine de la valeur de la vie, il nous faut estimer et respecter leurs raisons et finalités.
Laisser les êtres vivants vivre comme ils vivent et vivre avec eux ne signifie pas que l’on préserve la nature comme un jardin zoologique et botanique pour y faire une belle promenade du dimanche. La vie des êtres vivants comprend également le développement et la mort, qui sont le début et la fin de leur histoire. Cela ne vaut pas seulement pour l’être vivant individuel, mais aussi pour chaque espèce dans son interaction avec toutes les autres espèces. Nous en faisons partie. Tous les changements dans la nature, y compris la mort d’espèces causée par des activités humaines, font partie de la nature. L’extinction du mammouth laineux ne peut pas être imputée à l’homme. Mais cela ne fait pas de la nature une simple ressource pour nous. La vie dans sa temporalité doit toujours rester créative et être comprise de manière créative. Vivre dans l’environnement comme une maison commune signifie participer et faire l’expérience de la créativité de la vie et rester responsable de sa propre créativité au sein de cette maison commune.
La notion religieuse de création, dans laquelle l’émerveillement motivé par la religion trouve son expression, n’est pas une notion statique comme un plan standard, mais une histoire vivante dans le temps. Ce qui nous menace, ce n’est pas d’abord le changement de l’environnement, auquel nous pourrions sans doute nous adapter, mais la technologie, qui nous éloigne tellement de la nature que nous ne comprenons plus ni la vie générale de la nature ni notre propre vie spécifiquement humaine. Les objectifs conscients de la vie humaine sont de bons objectifs lorsque nous les comprenons en même temps que les simples finalités des êtres vivants. Ainsi, la vie caractéristiquement humaine fait la médiation entre la vie de l’esprit et la vie animale.
Les réflexions philosophiques peuvent donner des conseils sur la manière de prendre des décisions politiques. Elles peuvent aider à cerner le problème et les valeurs en jeu. Si l’on pense aujourd’hui à l’exploitation à ciel ouvert du lignite en Allemagne ou à la production de pétrole à partir des sables bitumineux au Canada, l’idée d’une maison commune semble tout à fait irréaliste. La terre y est traitée comme une chose sans vie. C’est comme si nous avions transformé une partie de notre monde en une exoplanète sans vie qui n’est plus qu’une simple ressource pour nous. L’exploitation de ces ressources peut être justifiée ou critiquée, et en Allemagne comme au Canada, les gouvernements démocratiques ont fait beaucoup pour équilibrer des intérêts qui sont différents et parfois même contradictoires. Mais cela n’est pas sans problèmes. Le compromis politique n’est pas comparable à l’utilisation durable des ressources, comme dans une forêt qui fait depuis longtemps partie de la culture et du mode de vie de l’homme. On ne peut pas parler de durabilité lorsque les ressources naturelles sont exploitées en mettant la vie de côté. La renaturation de paysages perdus ne constitue qu’une compensation limitée. Dans une décision éthiquement responsable, il ne peut pas seulement être question de l’état final, mais aussi de la valeur que nous reconnaissons à l’état initial. Ceux qui veulent considérer l’environnement comme une maison commune doivent chercher à voir dans la nature sa dignité inviolable qui ne soit pas facilement remplaçable.
Saint François ne pensait certainement pas à nos problèmes modernes lorsqu’il a composé le Cantique des créatures, mais nous pouvons reconnaître à travers lui la dignité de la nature en tant que création. François chante comment Dieu est loué par le soleil, la lune, les étoiles, la terre, l’eau, l’air et le feu.7 C’est assez abstrait, puisqu’il dit peu de choses sur les plantes et rien sur les animaux. Il faut savoir que François a écrit ce chant proche de sa mort et dans l’espérance de la vie éternelle. Il voit déjà la création à la fin des temps, dans sa plénitude dans le Créateur. Il ne chante plus notre monde avec ses histoires de vie courtes et simples, mais il anticipe déjà le monde dans son accomplissement à la fin des temps.
Mais dans ce chant sur les corps célestes et les éléments terrestres que nous expérimentons comme inanimés, François voit des frères et sœurs qui chantent avec lui la louange du Seigneur. C’est une différence très importante par rapport aux autres chants religieux de ce genre. Dans le chant de louange des trois jeunes hommes dans le livre de Daniel (3, 51-90), on trouve beaucoup plus de créatures par lesquelles le Seigneur est loué que chez François, mais elles ne sont pas considérées comme frères et sœurs des trois jeunes hommes. Même si le cantique de François ne mentionne pas les créatures vivantes de notre expérience humaine, la vie est omniprésente dans la création qui s’achève dans la reconnaissance de la fraternité des créatures. Si les petits enfants aiment donner un visage à la lune et au soleil sur leurs dessins, ils sont alors plus proches de la sagesse de Dieu que les astrophysiciens. Et si François, si proche de la mort et en grande souffrance, redonne des visages au soleil, à la lune et aux étoiles, il ne retombe pas dans l’infantilisme. Il reconnaît la valeur de la vie à travers sa propre vie dans sa vulnérabilité, et il comprend que sa vie et l’existence de toute la création sont portées à jamais par la vie divine. C’est pourquoi le chant se termine par le rappel que la mort corporelle n’est pas à craindre. Même la mort corporelle fait partie de la famille éternelle de ceux qui entrent dans la plénitude de la vie. François nous rappelle que ceux qui vivent dans la volonté de Dieu ont échappé à la mort comme à l’anéantissement de leur être. Pour eux, l’étreinte de Sœur Mort est l’entrée dans la plénitude de la vie.
Mais entre ces lignes portées par la vie philosophiquement comprise surgit quelque chose de très important, et cela se rapporte à la situation concrète dans laquelle François se trouve à la fin de sa vie. Il souffre d’une grave maladie et sa ville est divisée par des luttes politiques. Il s’engage lui-même et appelle tous les autres à trouver la paix par amour de Dieu et à vivre sereinement les uns avec les autres. Ceux qui peuvent transformer leur souffrance en actes de paix seront couronnés par Dieu.
Si l’on transpose la poésie de François dans notre contexte moderne, on reste fidèle à son héritage lorsqu’on exprime, par une utilisation pacifique plutôt que destructrice de la nature et de ses ressources, comment la dignité toute particulière des êtres humains est inséparable de la dignité des autres êtres vivants. Seuls ceux qui le savent et qui peuvent vivre ainsi peuvent vraiment vivre et également comprendre la vie des autres, qu’il s’agisse d’un modeste microbe, d’un biotope unique ou de la population d’une ville entière. À travers une participation créative à la nature, notre maison commune, au lieu d’un contrôle dominateur de l’environnement, l’homme peut alors effectivement être la couronne de la création. Appelons-la alors une couronne démocratiquement constituée, à la manière de la monarchie canadienne.
L’appel du « retour à la nature », qui nous apprend à vivre, commence dans les relations entre nous en tant qu’êtres humains. Conformément à notre nature, nous devons tout d’abord nous préoccuper de ceux qui sont réellement dépendants des autres en raison de leur situation dans la vie. En fin de compte, travailler lentement mais sûrement sur les relations humaines est la véritable façon d’agir selon notre nature. Cela modifie notre attitude vis-à-vis de l’environnement de telle sorte qu’il devienne notre maison commune, au sein de laquelle nous nous sentons chez nous.
Ainsi, c’est la vie communautaire franciscaine et le besoin de vivre ensemble entre êtres humains qui sont réunis par rien d’autre que le mode de vie franciscain qui sera la contribution franciscaine à la transformation de l’environnement en une maison commune. Cela semble être une modeste contribution face au travail des grandes ONG et des mouvements politiques. Mais l’héritage de Saint François et de ses frères est malgré tout un héritage puissant.
Lorsqu’on lit la règle de Saint François et la compare avec la règle de vie religieuse des Bénédictins ou des Augustins, on remarque immédiatement l’importance du thème de la fraternité.8 François ne parle pas de supérieurs ou de figures paternelles autoritaires, mais de frères qui doivent prendre soin les uns des autres avec une attention maternelle. Cela n’est pas tellement nouveau et s’oriente vers des formes de vie que d’autres mouvements de renouveau religieux ont trouvé à chaque époque. Il est évident qu’une telle forme de vie est plus proche de la vie de Jésus et de ses apôtres telle qu’elle est décrite dans les Évangiles et les Actes des Apôtres. « Vous n’avez qu’un seul maître […] et vous êtes tous frères » (Mt. 23, 8). Mais c’est de cette manière, dans l’inefficacité d’un tel principe de leadership qui ne fait pas simplement du plus apte le maître, que nous, Franciscains, apprenons ce que signifie former et diriger une communauté dans une dépendance réciproque, créative et constructive.
Cette connaissance peut changer non seulement notre vie personnelle, mais aussi la vie de ceux qui nous entourent. C’est une décision personnelle concrète qui est au cœur de la spiritualité et du mode de vie franciscains. Cela nous ramène à la nature d’une manière qui correspond à notre nature humaine, de sorte que nous puissions nous sentir chez nous dans notre maison commune, d’une manière vraiment humaine.
Cet article a été initialement publié en anglais et en allemand dans le journal « Grüne Reihe » der « Missionszentrale der Franziskaner » et peut être consulté ici : https://franziskaner-helfen.de/medien/
- https://plato.stanford.edu/entries/francis-bacon ↩︎
- Francis Bacon, Le Nouvel Organon, aph. 129. ↩︎
- De Augmentis Scientiarum, III, 5. ↩︎
- Laudato si’, no 118. ↩︎
- François d’Assise Écrits, Vies, témoignages (Paris, France: Les Éditions du Cerf, 2010), 308-314. ↩︎
- Ibid., 861-916. ↩︎
- Ibid., 173-174. ↩︎
- Ostermann, Joachim, “Fraternity as Natural Being,” Religions 13: 812 (2022). https://doi.org/10.3390/rel13090812https://doi.org/10.3390/rel13090812 ↩︎