Lorsqu’on célèbre Pâques, les liturgies qui y conduisent font mémoire d’événements qui inspirent des sentiments très contradictoires. Le Jeudi saint, c’est le dernier repas, un événement festif qui se termine soudainement dans un esprit de peur et d’angoisse. Puis il y a la grande tristesse du Vendredi saint – même s’il est difficile d’oublier que le lendemain soir, on célébrera Pâques. Il y a ensuite la longue attente de la veillée pascale. On y entend des lectures de l’Ancien Testament, jusqu’à ce qu’on rallume les lumières et qu’on entonne le Gloria pour célébrer le Christ ressuscité. Il faut se préparer à ces trois jours remplis de contradictions. Cette année, je l’ai fait en visitant le tombeau vide dans l’église du Saint-Sépulcre, à Jérusalem.
C’était la première fois que je me rendais en Terre sainte. Je devais participer à un pèlerinage, mais le voyage organisé a été annulé en raison de la guerre. Au lieu de faire partie d’un groupe de pèlerins accompagnés par un guide, j’ai séjourné pendant dix jours chez les franciscains du monastère de Saint-Sauveur, dans la vieille ville, et j’ai arpenté ses rues en solitaire. Comme il n’y avait pratiquement pas de touristes, les rues étaient surtout peuplées par des résidents de la ville. Lorsque je portais mon habit, personne ne faisait attention à moi, et les gens me parlaient uniquement lorsque je m’arrêtais pour demander mon chemin. Et quand je portais des vêtements laïques, tout le monde voulait me montrer sa boutique et me vendre quelque chose. Dans un cas comme dans l’autre, j’ai vu des juifs, des musulmans et des chrétiens vaquer normalement à leurs occupations quotidiennes. Mais il y avait de la tension dans l’air. Le ramadan venait tout juste de commencer, et les prières du vendredi sur le mont du Temple risquaient de se transformer en émeutes. Les soldats israéliens en uniforme, fusil d’assaut à l’épaule, étaient très présents. Ils se trouvaient aux points de contrôle, notamment aux entrées du mont du Temple. Quand ils m’ont vu, ils m’ont refoulé, car le mont du Temple pendant le ramadan est interdit à toute personne qui n’est pas musulmane ou que l’on soupçonne pour une raison ou pour une autre de vouloir créer des problèmes. On voyait souvent des soldats armés partout dans Jérusalem, car beaucoup d’entre eux se trouvaient dans des trains ou des bus, en permission ou en route pour leur déploiement. J’ai fait quelques sorties, notamment en me joignant aux franciscains du monastère de Saint-Sauveur pour un pèlerinage au tombeau de Lazare, de l’autre côté de la frontière avec la Cisjordanie.
Je n’ai rien appris sur ce qu’il faudrait faire pour rétablir la paix en Terre sainte afin que les différents peuples et les différentes religions puissent cohabiter selon la volonté de Dieu, mais j’ai appris d’autres choses. J’ai appris que le tombeau est bel et bien vide et que pour trouver Dieu, je n’ai pas besoin d’aller dans un endroit particulier en dehors de mon propre cœur. Même si j’étais sur la terre que Jésus a foulée, c’était il y a si longtemps que ces lieux ne sont plus les mêmes. J’ai ressenti la souffrance de Jésus non pas en priant sur le rocher du Calvaire, mais en pensant à la souffrance des civils à 100 km de là, à Rafah, ou à l’autre bout du monde, à Port-au-Prince, ou encore à celle des commerçants que j’ai croisés dans la vieille ville et qui craignent de faire faillite faute de touristes. Le Christ ressuscité ne se trouve pas dans le tombeau, vide certes, mais dans le bonheur des enfants qui jouent dans les rues, dans ces hommes et ces femmes qui vivent leur vie, conscients de leur dignité d’enfants de Dieu.
L’un des temps forts de ma visite a été un événement tout à fait inhabituel pour un pèlerin, à savoir une rencontre avec un ami à l’Institut Weizmann des sciences à Rehovot. Nous nous connaissons depuis notre arrivée, à l’été 1990, en tant que boursiers postdoctoraux dans le groupe de recherche de Jim Rothman, alors à l’Université de Princeton. Nous sommes restés quelque peu en contact, même après mon entrée chez les Franciscains. Et ce jour-là, nous avons mangé du houmous ensemble dans son restaurant préféré à Ramla, près du lieu où il a grandi. Il m’a expliqué que c’était l’une des rares villes à être à la fois musulmane et juive, sans qu’aucun des deux camps ne soit clairement aux commandes, et quelque peu délabrée du fait qu’elle n’appartenait clairement à aucun des deux camps. En me faisant visiter les environs, il m’a montré les ruines de bâtiments du 8e siècle qui auraient dû être conservés pour leur valeur historique, mais qui étaient maintenant jonchés d’ordures. Malgré tout, c’est une ville vivante et manifestement un endroit qu’il aime.
Cela résume bien ce que j’ai ressenti pendant tout mon séjour. Il y avait tant de signes que les choses n’étaient pas ce qu’elles devraient être. Il y avait tant de raisons d’être en colère à cause des abus, de l’occupation, de l’oppression et de toutes les violations des droits de la personne imaginables. Je m’étais également rendu à Yad Vashem, triste rappel de l’apogée de ce mal. Mais observer la vie dans la vieille ville et puis partager un repas avec mon vieil ami à Ramla m’ont rempli d’espérance. La vie et la joie qu’elle inspire étaient évidentes, et bien que la mort et la désolation que celle-ci inspire ne puissent être ignorées, je sais que la vie triomphe de la mort. Et pour cela, je rends grâce d’avoir entendu le message de Pâques.