La pandémie a changé radicalement notre manière de penser, de vivre et de socialiser. La distanciation sociale, par exemple, et le manque de rapports humains réguliers ont accéléré le processus de vieillissement chez les personnes âgées. Des chercheurs ont noté une augmentation de l’anxiété menant à la violence, tant au plan interpersonnel qu’au plan international. Nous chrétiens avons tendance à nous identifier à un style de vie non violent. En tant que disciples de saint François, nous prenons pour acquis notre comportement calme et notre propension au dialogue; nous nous reconnaissons facilement dans la Béatitude de Matthieu : « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. » (Mt 5,9) Certains parmi nous rayonnent la paix dans leur comportement et leur façon de regarder les autres, ou à l’aide d’un ton apaisant de la voix. Certains font la paix en créant des liens harmonieux, tandis que d’autres fuient toute forme de confrontations ou de conflits. Il aura fallu cette crise pandémique sociale pour nous apprendre à quel point nous pouvons être violents à l’occasion.
Dans la dernière année surtout, nous avons été témoins des nombreux visages de la violence. On a pu en faire l’expérience dans notre vie spirituelle, nos relations fraternelles, et même au plan collectif. Le monde entier a connu la face obscure de la violence. Nous soulignons ici et là une augmentation de la rage au volant, l’impatience et l’agressivité dans les lignes d’attente, les guerres de clans, les conflits domestiques et les abus physiques faits aux femmes, la haine et la vengeance, notamment à l’occasion des scandales à l’égard des Premières Nations, etc. La liste peut s’allonger et concerne chacun d’entre nous. La violence naît de l’intérieur du cœur et explose aussi loin que l’Afghanistan. L’étymologique du mot violence le dit : l’utilisation excessive de la force et du pouvoir. Pendant la pandémie, la violence a causé des ténèbres et des situations de déni, et même le refus de considérer l’autre comme une personne humaine précieuse. On saisit mieux le refus obstiné de Caïn devant Dieu, à la recherche de son frère Abel : « Suis-je le gardien de mon frère? » (Gn 4,9)
Quand François d’Assise nous arrive avec son Cantique de Frère Soleil à la fin de sa vie, il offre une affirmation indirecte sur la violence. Il se trouve à réconcilier en un même élan pardon et souffrance : « Loué sois-tu, mon Seigneur, pour ceux qui pardonnent par amour pour toi et supportent maladies et tribulations. Heureux ceux qui les supporteront en paix, car par toi, Très-Haut, ils seront couronnés. » (CSol 10-11) Il est étonnant de constater qu’une telle louange pour la Création mentionne aussi les expériences sans issues de notre vie comme la haine, la maladie, les épreuves, la mort et le péché. Nous connaissons l’origine historique de ces versets incorporés au Cantique.
En juillet 1226, une chicane épique entre le podestat et l’évêque d’Assise éclate au grand jour. L’évêque finit par excommunier son ancien ami, le podestat. Ce conflit est sans doute dû à des questions juridiques de propriétés et de terrains. Leur solide lien d’amitié est devenu source de haine mutuelle. François réagit spontanément et sans attendre. La Légende de Pérouse évoque son sentiment de pitié pour ces deux hommes d’autorité. Il s’en prend à l’inaction des témoins du drame. Il affirme : « C’est une grande honte pour nous, serviteurs de Dieu, qu’il ne se trouve personne, quand le podestat et l’évêque se haïssent ainsi, pour rétablir entre eux la paix et la concorde. » (LP 44) François reconnaît donc la crise pour ce qu’elle est; il en prévoit les conséquences, et souffre du manque d’intervention dans le conflit. C’est là qu’il compose sa strophe sur le pardon, puis il envoie ses frères la chanter tout haut sous le balcon des ennemis notoires.
Ce fait historique offre une manière de faire en temps de crise, quand c’est opportun. Savoir voir et entendre un conflit personnel, interpersonnel ou social. Savoir intervenir avec compassion quand personne ne le fait, – François le fait en composant sa nouvelle strophe -. Savoir recourir à des intermédiaires, des faiseurs de paix, quand il devient impossible pour nous de descendre sur le terrain du conflit. Savoir nous réjouir d’une solution pacifique. Ces étapes trahissent une manière de vivre la réconciliation comme outil d’évangélisation.
Un autre exemple pour contrer la violence se trouve dans le récit du Loup de Gubbio dans les Fioretti (Fior 21). François se montre sensible aux récriminations et aux peurs des gens de Gubbio devant ce loup féroce. Il sort des murs de la ville et va le rencontrer sur son terrain. Il l’approche en ami : sans jugement, ni menace, ni accusation. Il ne fait que souligner ses dommages et à quel point la population est affectée. « Toute la ville t’a en inimitié! » Après ces palabres, il propose une entente entre le loup et le peuple. Le loup s’incline, se résigne à renoncer à la violence tandis que les gens s’engagent à le protéger et le nourrir.
Pure fiction direz-vous! La finale de la scène donne le ton pour en donner sens à la réconciliation. Tout comme pour le verset sur le pardon du Cantique, nous découvrons comment résoudre un conflit et créer des liens de concorde, et pratiquer une spiritualité de la réconciliation. Le pardon devient un processus de guérison toujours en appel. Ce visage unique du pardon dépend de la manière de faire de Dieu à notre égard, sa façon de nous contempler et de nous respecter. En tant que membres de la Famille franciscaine, notre héritage nous incite à risquer des pas proactifs pour contrer la violence selon l’Évangile. Quand Jésus nous enjoint à tendre l’autre joue (Lc 6,29), il demande simplement de museler la violence là où elle se trouve. Il propose de faire mourir en soi la violence dans l’autre. Guérison et joie ne peuvent naître que d’un tel courage!
Pierre Brunette, OFM
(Photo par Chris Sabor on Unsplash)