Certains savaient. Certains s’en doutaient. Certains ne voulaient pas voir. Pourtant, la pauvreté, l’itinérance, la précarité d’emploi et l’insécurité alimentaire étaient déjà bien présents, ici au Canada. La pandémie n’a fait qu’amplifier le phénomène. Partout au pays, des jeunes, des familles, des travailleurs et des aînés sont en mode survie. Constat accablant, la pandémie amène avec elle de plus en plus de détresse psychologique dans la population.
Comme de nombreux organismes communautaires, paroisses et communautés religieuses, les Franciscains du Canada s’adaptent au contexte particulier de cette crise sanitaire. Humbles, ils savent se faire discrets dans leurs actions. Ils offrent une présence rassurante à ceux qui n’ont rien et accueillent ceux qui ne trouvent « pas de place à l’auberge ». Ils vouent un profond attachement aux démunis, aux laissés-pour-compte. Et c’est ainsi que l’on retrouve les franciscains là où personne ne veut aller (ou presque). Comme un dernier rempart.
Nourrir
Au début de la pandémie, la paroisse conjointe St. Francis/St-Roch à Montréal (Qc) distribuait du pain aux gens dans le besoin, migrants et réfugiés. La paroisse, desservie par les franciscains, s’affaire actuellement à préparer les paniers de Noël qui viendront soutenir les nombreuses familles défavorisées du quartier multi-ethnique de Parc-Extension, où elle est située. Le père Regi Mathew, ofm, explique que les paniers seront remplis de nourriture, bien sûr, mais également de vêtements chauds, de produits d’hygiène et aussi de quelques douceurs.
Suite à l’anticipation d’un surplus de demandes à la banque alimentaire principale, la paroisse franciscaine St. Joseph the Worker de Richmond (CB) avait ouvert, de mars à août, un service temporaire pour subvenir aux besoins grandissants des habitants de cette banlieue. Ce dépannage étant actuellement fermé, la paroisse voit à maintenir une aide d’urgence en cas de besoin. En collaboration avec la Saint-Vincent-de-Paul, la paroisse participe à l’élaboration de paniers de Noël. Selon le père Joseph Glaab, ofm, cette année la demande en aide dépassera largement celle de l’an passé.
Faire autrement
Récemment, le frère Jacques Cornet, ofm, de Victoria (BC) faisait des pieds et des mains pour trouver un remplaçant pour l’équipe de bénévoles qui avant la pandémie, servait le repas à près de 300 personnes dans une soupe populaire non loin de la cathédrale. En cette période difficile pour tous, garder ou trouver des bénévoles semble une tâche ardue. Malgré les précautions prises, de nombreuses personnes hésitent à prendre ce risque. Les besoins sont grands dans la jolie capitale de la Colombie-Britannique. Les sans-abris sont de plus en plus nombreux à y avoir élu domicile. Évidemment, les mesures sanitaires ne permettent plus d’offrir le service de repas aux tables, comme c’était le cas avant. Le frère Jacques Cornet, proche de la réalité de la rue, explique que le nouveau déroulement du service ne laisse que très peu de place au contact humain. « Maintenant, les bénévoles remplissent des sacs avec un sandwich, une soupe, un œuf, un dessert et un fruit. Il y a aussi du café. Un gardien de sécurité laisse entrer deux personnes à la fois seulement. Quand ils ont leur sac, hop ! ils ressortent dehors, sans même avoir accès aux toilettes. Mais c’est comme ça. »
Du concret
À la fraternité de Trois-Rivières (Qc), les trois nouveaux postulants de la Province Saint-Esprit sont à l’œuvre au service des démunis depuis septembre. Dans le cadre de leur cheminement, ils consacrent dix heures par semaine au bénévolat. David Noël, Hawkins Choi et Aldin Canobas donnent un coup de pouce à l’organisme de bienfaisance Les artisans de la paix bien connu dans la région. En arrivant à leur poste le mardi, des tâches très concrètes attendent les trois jeunes hommes. Elles consistent essentiellement à assister l’équipe de cuisine dans la préparation des repas. Il leur revient de préparer la viande, de laver et de couper les fruits et légumes qui seront ensuite cuisinés et acheminés aux familles défavorisées de la région. Ensuite, remplir les contenants et emballer le tout fait aussi partie de leur rôle. La préparation de repas implique nécessairement de salir de la vaisselle. C’est pourquoi laver, sécher et ranger vaisselle et ustensiles font aussi partie de ce qu’ils ont à accomplir. Tout comme nettoyer les surfaces de travail ainsi que les planchers. Ainsi, la cuisine est prête à servir de nouveau. Le jour suivant, les aspirants franciscains préparent les cent quarante boîtes de denrées selon les spécificités des familles à qui elles sont destinées. Le lendemain est la journée des produits réfrigérés ou surgelés tels que les produits laitiers et la viande ainsi que le moment de la distribution. Présents lors de celle-ci, les trois postulants font toutefois face à un obstacle non négligeable, celui de la langue, puisque les trois jeunes hommes anglophones sont encore en apprentissage du français. Cependant, cette barrière n’est pas insurmontable puisque tout comme l’exprime David Noël avec beaucoup de candeur «… l’amour transcende le langage ».
Soutenir
À la paroisse St. Francis/St-Roch de Montréal, un groupe composé de paroissiens collabore avec les Sœurs Franciscaines Missionnaires de Marie pour l’opération Partage de la joie de Noël avec les Inuits. Le travail consiste à se procurer le nécessaire et à préparer des boîtes-cadeaux destinées à être envoyées à la population du Nunavut. Ces paquets sont composés de nourriture non-périssable, de petites douceurs sucrées, de jouets et de cartes de vœux de Noël. Une initiative de distribution de cartes de Noël est également en vigueur dans cette paroisse où la bienveillance est bien plus qu’un mot à la mode.
Bienveillance
À l’autre bout du pays, une initiative semblable a lieu à la paroisse St. Joseph the Worker. Cette fois, ce sont les employés et les frères qui ont entrepris de faire un appel de courtoisie à toutes les 2 700 familles enregistrées à la paroisse et ce, sur une période de 2 mois (avril et mai). Assurer la sécurité de tous et chacun est primordial pour cette communauté visiblement tissée serrée.
Briser le cycle
À la fraternité de Lachute (Qc), le frère Pierre Brunette, ofm, commente la situation de la pauvreté dans la région d’Argenteuil avec beaucoup de réalisme. À la pauvreté, s’ajoutent des problèmes sociaux bien présents : décrochage scolaire, délinquance, dépendance. « Il est vrai que l’isolement forcé par les normes de distanciation et les arrêts de plusieurs services ont augmenté le niveau de désarroi de certains ».
Le père Brunette tente par tous les moyens de soutenir les démunis de sa région dans leur désir de se sortir du cercle de la pauvreté. Bien que l’aide ponctuelle soit bien souvent une nécessité, les ressources pour sortir les gens de la pauvreté sont toutes aussi importantes, selon lui. « Le frère Marc Alarie, ofm, et moi sommes membres de Café Partage, un organisme dont le but est d’offrir une alternative aux personnes vivant de l’insécurité alimentaire, en les faisant participer économiquement à leur pouvoir d’achat : paniers d’épicerie santé, épicerie ambulante, viandes surgelées vendues à prix abordables, etc. Ce service est offert dans le but d’éviter que leur seule et unique option soit de compter sur la charité, en faisant en sorte que les gens s’impliquent et participent aux achats. » Il constate que, malheureusement, la pandémie a réduit ce type de services.
Les bras grands ouverts
À Cochrane (AB), les franciscains opèrent un centre offrant des retraites tout au long de l’année. Par contre, 2020 aura été bien différente à plusieurs égards. Ce qui n’a pas changé, ce sont les valeurs d’inclusion véhiculées par les franciscains de l’endroit. Le frère Kevin Lynch, ofm, insiste sur ce fait : « Tout le monde est bienvenu au nom du Seigneur ». Selon lui, la capacité de payer son gîte et son couvert ne devrait en aucun cas influencer la participation à une session. Fidèles à leur tradition d’hospitalité, il arrive à l’occasion que les franciscains de Cochrane hébergent des gens dans le besoin. « Il nous est arrivé à l’occasion d’accueillir des gens qui n’avaient pas d’endroit où passer la nuit ».
Le père Michel Boyer, ofm, gardien à la fraternité de Trois-Rivières (Qc), constate que visiblement « la population vit de plus en plus d’anxiété » face à l’incertitude engendrée par la pandémie. Les gens ont besoin de parler et surtout de sentir qu’ils sont écoutés. C’est pourquoi « la porterie demeure ouverte pour ceux qui désirent se confier ou encore, pour les urgences. » C’est le cas ici, au couvent de Trois-Rivières, tout comme c’est le cas dans les fraternités à travers le Canada.
Les franciscains sont là, pour que personne ne soit laissé derrière.
Comme un dernier rempart.
Julie-Isabelle Baribeau