Néhémie Prybinski, OFM
Je n’étais pas un héros, même si j’ai eu des moments grands et petits. Les gens façonnent rarement leur vie par eux-mêmes, mais ils s’adaptent plutôt aux conditions existantes. C’était pareil avec ma famille. Pendant le communisme, je voulais profiter de la liberté et vivre comme les autres.
Je me souviens d’avoir marché du matin au soir avec une clé autour du cou. À pied ou à vélo, j’allais au parc de l’autre côté de la ville pour des muguets, des violettes et des châtaignes. J’avais l’habitude d’aller pêcher, nager, de marcher autour des étangs, sur des collines, dans les granges et bien d’autres endroits que je trouvais attrayants.
Puis, je rentrais à la maison, sale, souffrant de brûlures d’orties, les poches remplies de fruits ou de cailloux colorés.
Et donc tous les jours avec mes amis de différentes parties de la Pologne, dans l’arrière-cour, je jouais tous les jeux d’enfants que nous connaissions, dont beaucoup avaient été inventés par nous.
En été, jusque tard dans la nuit, je m’asseyais avec mes amis sur les bancs devant la maison, jouant aux cartes et racontant des histoires terribles et drôles.
Je me souviens que tout se faisait par la fenêtre. S’il y avait un jeu dans la cour, j’appelais ma mère pour me donner quelque chose à manger. Je me rappelle les sandwichs à la tarte dans dans un sac en papier qui contenait autrefois du sucre. Tombés du quatrième étage, ils ressemblaient plus à la marmelade, mais ils étaient délicieux ! Il y avait toujours quelqu’un qui demandait : donne-moi une bouchée. On partageait… Nous étions tous comme une seule famille, tout nous appartenait, surtout les rêves.
À l’époque, je voulais bien m’habiller et bien manger. Malheureusement, en ces temps d’enfance et d’adolescence, les magasins étaient vides et des programmes de propagande étaient diffusés à la radio et à la télévision. En histoire et en éducation civique, on nous disait à quel point il était bon de vivre dans un système socialiste et que le plus grand ami de la nation était l’Union soviétique. Les temps étaient agités et dangereux, et j’ai souvent dû faire des choix difficiles. Je n’avais aucune influence sur la situation dans le pays, mais quand je le pouvais, j’aidais les autres et j’en bénéficiais aussi moi-même. J’ai réussi à vivre.
Personne ne joue dehors aujourd’hui. Les gens mènent une vie stérile et ordonnée. Ils se séparent de tout ce qui est disgracieux. Ils se sont coupés de la nature, de la vérité, de la vie, de la vieillesse et de la mort en remplaçant la grâce de l’Esprit Saint par toute sorte de pilules. Ils rejettent Dieu et ses commandements de l’amour et de la vie fraternelle.
En ce temps-là, dans mon enfance et ma jeunesse, avant même la chute du rideau de fer et pendant la soi-disant guerre froide, malgré les promesses socialistes, je n’ai jamais connu la paix intérieure, la joie et le bonheur. J’avais l’impression que ma vie était un chemin de croix, d’autant plus que ma famille et moi étions croyants. J’ai fait confiance et j’ai prié pour un jour de libération, de renouveau et de réconciliation. En raison de mon milieu ouvrier, je ne pouvais pas profiter des privilèges, comme les enfants des parents du parti communiste.
J’allais secrètement à des cours de religion et à l’église. De nombreuses personnes ont été persécutées pour leur foi. Plusieurs milliers de familles ont quitté le pays pour émigrer en France, au Canada et aux États-Unis. C’était les moments difficiles quand je grandissais… tout était gris, même les bâtiments et les rues étaient gris.
Et, enfin, ce jour spécial est venu où un Polonais est devenu Pape … « Ouvrez largement les portes au Christ » … et c’est ainsi que le voyage vers la libération a débuté. Les gens ont commencé à se rendre massivement à l’Église, le mouvement syndicaliste Solidarité s’est établi et finalement le mur de Berlin est tombé.
Pour moi, pour tous les Polonais, c’était le jour de la résurrection nationale et de la liberté. Malgré la grande crise, chacun de nous bouclait sa ceinture pour s’entraider, car Dieu était dans le cœur des gens, pas le livre rouge du parti communiste.
À cette époque, tout le monde s’entraidait. Les appartements et les maisons étaient toujours ouverts à la famille, aux voisins et aux invités inattendus. Personne n’a compté l’argent dans le portefeuille, car il n’y en avait pas. La seule forme de sécurité était la confiance en la Providence de Dieu.
Aujourd’hui, avec le recul, malgré divers conflits dans le monde, le combat pour l’écologie, pour une vie digne, j’ai confiance et je crois, comme par le passé, que l’homme créé par Dieu est capable de faire le bien, de semer la paix et l’amour. La puissance de Dieu dans le cœur humain agit comme une petite graine qui grandit à son rythme pour que le monde devienne l’image du royaume de Dieu, un lieu où il n’y a pas de divisions politiques, économiques, pauvres ou riches… un lieu où chacun peut se sentir chez soi, à la maison, compris, aimé et accepté. Idylle, rêves, souhaits ? Ça vaut le coup d’essayer aujourd’hui, pourquoi attendre jusqu’à demain ?
Originaire de Pologne, Néhémie Prybinski a obtenu sa maîtrise en théologie à l’Académie pontificale de Cracovie. Ensuite, il s’est spécialisé en homilétique et en informatique. Il est franciscain depuis 1987, et prêtre depuis 1994. Il a travaillé dans les paroisses comme prédicateur des retraites et dans les écoles comme catéchète. Pendant une quinzaine d’années, il a été missionnaire à Madagascar et l’île Maurice. En 2009, il est arrivé au Canada. Il anime des récollections, des retraites, et il est responsable de la communauté franciscaine de Montréal.
Crédit image en avance: Library of Congress, Prints & Photographs Division, photograph by Bernard Gotfryd; autre photos: Néhémie Prybinski