Les derniers jours de l’année 1642 furent vécus dans une atmosphère dramatique. La petite rivière au pied de laquelle était construite l’habitation de Ville-Marie, commença à déborder, faisant craindre les périls et les ruines qui accompagnent les inondations.
Quel sujet d’alarmes, de conjectures et d’angoisses pour les colons ! M. de Maisonneuve, dès qu’il vit chacun en assurance dans le fort, et occupé à prier pour conjurer le danger, se sentit porté à faire davantage, lui, le chef, chargé de toutes les responsabilités.

Un projet lui vint à l’esprit. Toujours modeste, il alla l’exposer auparavant aux Pères Poncet et du Perron. Ceux-ci l’approuvèrent et prièrent M. de Maisonneuve de se hâter de mettre à exécution ce moyen surnaturel de salut. L’heure était grave.
M. de Maisonneuve réunit alors tout son monde. Il fit lire à voix haute une déclaration qu’il venait de tracer rapidement, « afin qu’on reconnût la pureté de son intention », et où il disait que les colons de Montréal priaient Sa Divine Majesté de retenir la rivière dans son lieu ordinaire, si cela dût être pour sa gloire, ou de leur faire connaître le lieu où il voulait être servi par ces Messieurs de Montréal. Afin d’y mettre le principal établissement, au cas qu’il permit que les eaux vinssent à perdre ce qu’on venait de commencer ».
Le gouverneur annonça ensuite qu’il allait quitter pour un moment le Fort, voulant aller lui-même planter une croix au bord de la rivière « si malheureusement sortie de son lit », après avoir attaché au pied de cette croix, l’écrit qu’il venait de tracer de sa main. « Dieu écoutera peut-être alors le cri de son peuple en détresse, dit-il en concluant.
Il fit comme il le dit. Seulement, lorsque le gouverneur rentra au fort, sa générosité, son sens chrétien lui avaient inspiré de faire, en plus de la prière affichée, une promesse solennelle, « celle de porter une croix, lui seul, depuis le fort jusque sur la montagne du Mont-Royal, s’il plaisait à Dieu d’accorder sa demande ».
Aucun changement ne se produisit durant les heures suivantes. « Les eaux ne laissèrent pas de passer outre… On les voyait rouler de grosses vagues, coup sur coup, remplir les fossés du fort et monter jusqu’à la porte de l’habitation…; chacun regardait ce spectacle sans trouble, sans crainte, sans murmure, quoique ce fut au cœur de l’hiver, en plein minuit, et lors même qu’on célébrait la naissance de Dieu en terre ».
La délivrance venait pourtant. « Les eaux après s’être arrêtées peu de temps au seuil de la porte, sans croître davantage, se retirèrent peu à peu, mettant les habitants hors de danger et le Capitaine dans l’exécution de sa promesse ».
Le jour des Rois fut choisi pour la fête d’actions de grâces. Les jours précédents, les colons s’employèrent à faire le chemin, à couper les arbres et à faire la croix. M. de Maisonneuve « mit lui-même la main à l’œuvre afin d’encourager par son exemple ».
« On bénit la Croix, le jour étant venu, on fait M. de Maisonneuve premier soldat de la Croix, avec toutes les cérémonies de l’Église : il la charge sur son épaule, quoique très pesante, marche une lieue entière, chargée de ce fardeau, suivant la Procession, et la plante sur la cime de la montagne… Le Père du Perron y dit la messe et Madame de la Peltrie y communie la première…
JEANNE MANCE par Claire Daveluy, ofs
Texte présenté par frère Georges Morin, ofm