« Depuis ma première jeunesse, écrit Marc Chagall, j’ai été captivé par la Bible. Il m’a toujours semblé et il me sembe encore que c’est la plus grande source de poésie de tous les temps. Depuis lors j’ai cherché ce reflet dans la vie et dans l’art…» Nous avons une preuve de l’authenticité de cette affirmation simplement par le fait que Chagall a créé de nombreuses œuvres picturales illustrant Le Songe de Jacob, tiré de la Bible.
«Jacob arriva dans un lieu où il passa la nuit, car le soleil était couché. Il y prit une pierre, dont il fit son chevet, et il se coucha dans ce lieu-là. Il eut un songe. Et voici une échelle était appuyée sur la terre, et son sommet touchait le ciel. Et voici les anges de Dieu qui montaient et descendaient par cette échelle. Et voici l’Éternel se tenait au-dessus d’elle ; et il dit : “Je suis l’Éternel, le Dieu d’Abraham, ton père, et le Dieu d’Isaac. La terre sur laquelle tu es couché, je la donnerai à toi et à ta postérité” » (Gen. 28, 11-13).
La toile intitulée Le Songe de Jacob (1960-1966) qui met en image ce récit biblique, peut sembler, à première vue, être la plus étrange de toutes les peintures de Chagall, portant sur ce thème. Elle se compose de deux parties, de deux scènes clairement séparées et reliées par une ligne courbe. À gauche de cette ligne, nous reconnaissons facilemenet le songe de Jacob, mais la partie droite est beaucoup plus mystérieuse, beaucoup plus énigmatique.
Du côté gauche c’est la nuit, aux couleurs violettes inquiétantes, à l’exception du rouge pour Jacob et du jaune pour les anges. Jacob, sur la route de l’exil, s’est endormi. Il est représenté debout et non couché. C’est dans cette position que Jacob voit en songe des anges monter et descendre l’échelle à sept barreaux qui relie la terre au ciel. Chagall nous fait voir de joyeux anges acrobates encerclant les barreaux. Remarquons que Jacob a un œil ouvert et un œil fermé : signe d’une vision intérieure ouvrant sur la rencontre avec l’invisible. L’invisible qui se révèle à Jacob, le voici : « En vérité, Yahvé est en ce lieu et moi je ne le savais pas ! » (Gn 28. 16).
Du côté droit, surgit du ciel – d’un bleu presque lumineux – un chérubin de très grande taille, aux quatre ailes déployées, portant au centre de son corps une ménorah allumée, c’est-à-dire le chandelier à sept branches, symbole de la présence de Dieu. Cet ange éclaire la nuit bleue sombre et manifeste ainsi l’éblouissement plein d’espérance du message divin.
En outre, Chagall place le rêve de Jacob en dialogue avec deux autres images situées à l’extrème droite de la toile : l’une en bas, celle du sacrifice d’Isaac et l’autre en haut, celle du sacrifice de Jésus offert sur la croix. Juste au-dessus, et parallèlement à l’aile droite de l’ange, la croix horizontale du Christ est surmontée de l’échelle. Chagall associe presque toujours l’échelle à des crucifixions et les crucifixions à ses présentations du songe de Jacob. Cette association, développée par les Pères de l’Église et reprise dans l’iconographie chrétienne, ne manque pas d’évoquer la parole du Christ qui, comme l’échelle, relie par la croix le ciel et la terre : « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme » (Jn 1, 51)
Pour Chagall, l’élévation du Christ en croix vient accomplir tout ce qu’annonçait le songe de Jacob. L’échelle qui s’élève de la terre au ciel, c’est la croix du Christ qui ouvre l’univers à la lumière.